Comment l’humble Vin de France est devenu un phare du cool

Autrefois, le Vin de France était facile à résumer en une catégorie de vin : banal, inoubliable et franchement pas cool. Pourtant, ces dernières années, ils sont devenus un élément inattendu, voire inévitable, dans le chaos des vins qui apparaissent dans mon flux Instagram.

Pensez aux vins orange d'Alsace, aux pét-nats de Bergerac ou aux vins inéditsVins PiWi élaborés à partir de raisins sélectionnés pour leur résistance aux maladies et leur durabilité. Beaucoup sont reconnaissables à leurs étiquettes excentriques et ironiques. Les créatures de dessins animés comme des singes ou des cochons renversant des bouteilles sont courantes. D'autres arborent des noms impertinents comme Hurluberlu (français pour « bizarre ») et même des provocations comme « You Fuck My Wine ?! » Hormis le Vin de France inscrit sur l'étiquette avant ou arrière, beaucoup n'offrent aucune autre indication de marque ou d'origine.

Cela ne veut pas dire que les files d’attente de Champagne et de Bourgogne n’apparaissent plus sur les réseaux sociaux. Les régions classiques n’ont jamais cessé de tirer le marché des vins fins. Pourtant, le centre névralgique de la culture du vin, cette force magnétique qui attire de nouvelles générations de buveurs de vin malgré le ralentissement mondial des ventes de vin, évolue sur un rythme totalement différent.

Vin de France est une appellation qui se situe carrément au bas de la hiérarchie des vins légalement appliquée en France. Généralement, ces vins sont courants, produits en vrac et à un prix bon marché. Ils sont simplement étiquetés «vin de France», car ils ne répondent pas aux normes établies de classifications plus prestigieuses réglementées et contrôlées par des organismes régionaux comme l'Indication Géographique Protégée (IGP) ou l'Appellation d'Origine Contrôlée (AOC).

Il y a vingt ans, devoir étiqueter un vin Vin de France, ou Vin de Table (jusqu'en 2010), serait comme une condamnation à mort pour un producteur de vin de qualité, explique Nicolas Mestre, co-fondateur de l'importateur Williams Corner Wine. Cette appellation valait juste mieux que d'admettre un échec total et d'abandonner son vin à un distillateur pour le réutiliser. Mais au cours de la dernière décennie, la catégorie est devenue un refuge respectable pour les vins de haute qualité qui existent au mépris des normes ou réglementations régionales.

« Ce n'est pas tant la catégorie Vin de France elle-même qui est intéressante », explique David Hinkle, directeur des vins français de l'importateur Skurnik Wines. "Les Vins de France les plus intéressants sont plutôt les vins qui utilisent l'appellation de manière stratégique en raison d'un problème juridique."

En effet, les vins les plus convaincants du Vin de France partagent une certaine version d’une histoire d’origine renégat : des vins emblématiques rejetés par une AOC en raison de petites formalités bureaucratiques. Des vignerons innovants s'aventurant à faire revivre des raisins indigènes ou expérimentant des variétés non sanctionnées par l'AOC. Des producteurs de vins naturels qui ont tout simplement renoncé à l'AOC après des refus répétés pour non-conformité à une couleur, un goût ou un style standard.

C'est une situation classiquement française. « Repensez aux impressionnistes », dit Mestre, faisant référence au Salon de Paris dominé par des classiques avec peu de tolérance pour l'avant-garde. Les artistes extérieurs à la communauté artistique conventionnelle « étaient considérés comme cinglés, alors ils ont trouvé de nouvelles façons d’exister en dehors du système », explique-t-il. Les refuges qu'ils ont créés, comme le Salon des Refusés ou le Salon des Indépendants, fonctionnaient un peu comme le Vin de France, comme des refuges pour les radicaux et les ruptures de frontières.

Mais le Vin de France, comme les salons des impressionnistes, a-t-il contribué au déclin de l'établissement, en l'occurrence du tout-puissant système d'appellation ?

Bon nombre des producteurs de Vin de France les plus célèbres « n’essaient pas activement d’éviter les [règles] de l’appellation », explique Hinkle. « La plupart des vignerons sont toujours très fiers de leurs appellations et essaient continuellement d'élever le niveau des appellations.

C'est juste qu'un nombre croissant de producteurs s'appuient sur la flexibilité du Vin de France comme outil, « tâtant à la fois de l'AOC et du Vin de France comme bon leur semble », suggère Mestre.

Pourtant, le battage médiatique qui entoure le label Vin de France révèle des fissures dans l’hégémonie de l’AOC. Trop souventl'AOC est critiquée comme étant un facteur de médiocrité et de prévisibilitéplutôt que des champions de l’excellence ou de l’ingéniosité. La reconnaissance accrue du Vin de France de haute qualité remet en question la hiérarchie des classements régionaux et des appellations de qualité sur laquelle les amateurs de vin ont été conditionnés. Au lieu de cela, les vignerons, leur terroir unique et la vinification occupent une place centrale.

Pour un segment croissant d'amateurs de vin d'aujourd'hui, l'attrait du vin ne réside pas dans l'exclusivité ou la spécificité définie par les hiérarchies ou classifications traditionnelles, explique Oscar Salinas, copropriétaire deLes naturels, un bar à vins naturels et magasin de bouteilles à Chicago. Il dit que ce sont les histoires derrière ces producteurs de Vin de France, ainsi que l'ouverture, la créativité et l'accessibilité que favorisent leurs vins, qui ont rendu la catégorie attrayante pour un groupe démographique plus large de buveurs de vin.

Tous les vins Vin de France ne sont pas des emblèmes d’excellence ou d’ingéniosité. Les vins en vrac dominent toujours la catégorie et le succès commercial des vins naturels a contribué à un flot de nouveaux producteurs, dont beaucoup « n'ont pas la rigueur et les compétences nécessaires pour produire des vins savoureux et intéressants », explique Mestre.

Mais l'évolution du Vin de France fait écho à l'esprit révolutionnaire de la France, un élan irrépressible vers l'individualité et la liberté malgré le poids de l'histoire.

Voici quelques vins Vin de France que vous devriez essayer :

M. & C. Lapierre 2023 Vin de France Raisins Gaulois, $24

Lapierre est l'un des célèbres producteurs du Beaujolais, pionniers du mouvement du vin naturel qui a élevé la région du déclin industriel à une grandeur renouvelée. Cette petite mise en bouteille de Vin de France est destinée à mettre en valeur le Gamay dans sa forme la plus décomplexée et la plus agréable. Bien qu'il soit issu presque entièrement de la prestigieuse appellation cru de Morgon, son style irrésistiblement gourmand repose sur de jeunes vignes cultivées en liberté et récoltées à des rendements supérieurs à ceux autorisés par la réglementation de l'AOC.

Henri Milan 2017 Vin de France Le Grand Blanc, $37

L'engagement d'Henri Milan à cultiver les raisins les mieux adaptés aux sols et au microclimat spécifiques de son domaine familial dans la chaîne des Alpilles en Provence l'a amené à expérimenter une gamme de cépages non conventionnels, du Merlot et du Chardonnay au Nielluccio corse, dont beaucoup ne sont pas autorisés sous l'AOC Baux. -de-Provence. Pour contourner les restrictions, Milan a volontairement déclassé tous ses vins en appellation Vin de France. Cet assemblage biodynamique de Grenache Blanc, Chardonnay, Rolle (alias Vermentino) et Muscat Blanc à Petit Grains est rafraîchissant, sec et salin, marqué par des touches d'écorce de citron et de fenouil.

Matassa 2023 Vin de France Blanc, $38

Le Domaine Matassa dans le Roussillon a été fondé par le Sud-Africain Tom Lubbe. S'opposant ouvertement à l'idée selon laquelle les hiérarchies traditionnelles des AOC déterminent la qualité, Lubbe étiquette volontairement tous ses vins Vin de France. Cet assemblage vif et minéral de Grenache Gris et de Macabeu provenant de vieilles vignes, pour la plupart âgées de 60 à 120 ans, atteint un délicat titre de 10,5% ABV, une rareté magistrale dans le sud de la France. Certifiés biologiques, ses vins sont mis en bouteille non collés, non filtrés et sans soufre ajouté.

Domaine de la Taille aux Loups 2022 Vin de France Venise $54

Vouvray est le théâtre d'un des affrontements juridiques les plus notoires entre une AOC et ses vignerons. Depuis 2014, les producteurs de référence de la Loire François Chidaine et le regretté Jacky Blot du Domaine de la Taille aux Loups étiquetent leurs vins cultivés à Vouvray comme Vin de France, après avoir été évincés de l'appellation car les vins sont vinifiés dans le village voisin de Montlouis. Cette expression mono-vignoble du monopole (un vignoble appartenant exclusivement à un seul propriétaire) Clos de Venise est un Chenin Blanc vivifiant et cristallin, somptueux avec des saveurs de miel et de cire d'abeille.

Anne et Jean-François Ganevat NV Vin de France J’En Veux Encore!!! $55

Des millésimes consécutifs de vendanges décimées par le gel amènent Jean-François Ganevat, l'un des producteurs biodynamiques les plus réputés du Jura, à aller chercher les raisins chez des amis alsaciens, beaujolais et savoyards. Des collaborations inter-appellations comme le J'En Veux Encore !!! changent leur composition variétale d'année en année, un peu de Syrah mélangée à du Gamay et du Pinot Noir une année, du Gamay et du Trousseau l'autre. Quel que soit le mélange, ce sont toujours des vins captivants et émouvants avec juste un peu de culot.